Une orpheline errait entre les tombes, ramassant des bonbons, lorsqu’elle entendit soudain une voix étouffée s’élever du sol, appelant « Maman ».

Sonia, veillant à ne faire aucun bruit, enjamba la brèche dans la grille du cimetière. Cette voie secrète, qu’elle avait aménagée avec ses amis bien des années plus tôt, leur permettait d’entrer librement sur le terrain sans risquer de croiser le gardien ivre et désagréable. Ce dernier leur faisait bien plus peur que les morts eux-mêmes.

Vanka et Mishka avaient été découverts là un mois auparavant et envoyés en foyer. Natasha, elle, avait reçu une sévère correction de ses parents. Pourtant, malgré la peur qui la tenaillait, Sonia avait trouvé le courage de revenir, seule.

Le matin, le cimetière était animé de visiteurs. La fillette se réjouissait d’avance de sa récolte : elle adorait les sucreries, et il lui suffisait de ramasser quelques friandises par jour pour se constituer un petit trésor… qui fondait hélas trop vite. Elle se fixait des limites : quatre bonbons par jour, raisonnable ; cinq, parfait… Mais ses réserves diminuaient toujours trop vite.

Après avoir observé les visiteurs s’éloigner, Sonia se risqua vers la partie ancienne du cimetière. Là, elle ne trouva que de la koutia et quelques miettes de biscuits — rien d’intéressant. Elle avançait lentement, pour ne pas attirer l’attention. Soudain, une voix retentit :

— Hé, toi ! Où vas-tu comme ça ?

Elle se retourna : le gardien, balai en main, courait vers elle en trébuchant. D’un bond, elle franchit la brèche et s’élança à toutes jambes. Le cimetière était vaste : le vieil homme, essoufflé, ne pourrait pas la suivre bien longtemps.

Elle déboucha alors dans une zone qu’elle n’avait jamais explorée : des monuments majestueux, des allées de gravier ratissées avec soin. Elle venait de découvrir l’entrée d’un cimetière élitiste ! Ses amis et elle n’avaient jamais trouvé ce passage, dissimulé derrière un haut mur de béton.

— Waouh… souffla Sonia devant un impressionnant cénotaphe.

Elle caressa le marbre froid, émerveillée, puis, oubliant ses bonbons, s’enfonça dans les allées, fascinée par les montagnes de friandises colorées.

C’est alors qu’un murmure s’éleva :

— Maman… maman…

Sonia frissonna. La voix venait de sous terre. Paralysée, elle écouta. Ce mot — “maman” — lui était étranger, mais dans ses moments de peur, il surgissait, doux et rassurant.

Tremblante, elle s’approcha d’une tombe fraîchement creusée. Au fond de la fosse, un petit garçon couvert de boue la regardait, terrorisé.

— Comment tu t’es retrouvé là-dedans ? demanda Sonia.

Le petit éclata en sanglots :

— Je me cachais… de ma maman… Sors-moi d’ici !

Craignant qu’il n’attire l’attention, Sonia le gronda doucement :

— Arrête de pleurer ou je m’en vais !

Le garçonnet, obéissant, renifla sans bruit.

— Écoute : il me faut un support pour t’aider à sortir. J’ai vu un seau près de la statue. Ne bouge pas, je reviens.

Elle courut chercher un grand seau en zinc, puis revint à toute allure. Avec quelques efforts et beaucoup de glissades, elle réussit enfin à hisser le petit hors de la fosse.

— Kostia ! hurla soudain une femme.

Sonia, surprise, manqua de tomber. La femme se précipita, bousculant tout sur son passage, pour serrer le garçon dans ses bras.

— Maman, c’est elle qui m’a sauvé ! sanglota Kostia en désignant Sonia.

La femme enlaça Sonia avec chaleur.

— Merci, mon ange… Regarde-toi, toute sale ! Viens à la maison, je te laverai, te sécherai, et je te ramènerai ensuite.

Le gardien, qui avait tout vu, marmonna :

— Elle mériterait une bonne fessée, celle-là, toujours à voler des bonbons…

La femme lui lança un regard noir, le faisant déguerpir.

— Viens, ma chérie. Il fait froid, tu dois te réchauffer.

Sonia, sans protester, suivit la femme, prête à la suivre n’importe où. Dans la voiture, Kostia, tout excité, racontait leur aventure, tandis que Sonia, émerveillée par la chaleur et les odeurs agréables, tentait de ne rien salir.

— Sonia, tu vis seule ? demanda doucement la femme.

La fillette haussa les épaules.

— Pas tout à fait… mais je ne veux pas retourner là-bas. Ils ne remarquent même pas mon absence…

La femme poursuivit, la gorge serrée :

— Tu n’as plus ta maman ?

— Elle est morte quand je suis née… Mon père n’était pas là. Ma tante m’a recueillie… mais elle boit. Alors je suis partie.

Anastasia Alexandrovna — c’était son nom — hocha la tête, sans insister.
Sonia, fascinée par la beauté de la maison, se laissa aller à un bain chaud, à un repas copieux… et à un sommeil profond.

Anastasia, au téléphone, appelait déjà son mari :

— Oleg, viens vite. Je crois que c’est la fille de Timofeï…

— Anastasia, Timofeï est mort il y a dix ans !

— Viens. Tu verras…

Oleg arriva en trombe. En voyant Sonia endormie, il resta figé : la ressemblance avec son frère défunt était frappante. C’était comme revoir Timofeï enfant.

Après des recherches et un test ADN, tout fut confirmé.

**

Deux semaines plus tard, Sonia avait retrouvé couleurs et sourire. Anastasia et Oleg l’avaient adoptée, la traitant comme leur propre fille. Elle allait aller à l’école, apprendre la musique, vivre une vraie vie, auprès de Kostia, son nouveau petit frère.

Un jour, alors qu’elle s’apprêtait à demander à être envoyée en orphelinat pour ne plus retourner dans la rue, Oleg s’agenouilla devant elle :

— Sonia, tu es notre fille, maintenant. Si tu veux nous appeler “papa” et “maman”, nous serons les plus heureux du monde.

Des larmes roulèrent sur les joues de Sonia. Elle n’était plus seule.

Elle venait enfin de trouver une famille. 🕊️

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